Depuis la mort de mes parents
je trimballe un sac US invisible
rempli de moments invisibles
lourds comme l’invisible
comme des plages jonchées de couteaux
que survole une mouette solitaire
des arbres et des moments
la cueillette des mûres le dimanche
ou quand je soulageais les deux pommiers du jardin de Marsinval
de leurs fruits à moitié bouffés par les oiseaux
les courses, les provisions pour faire plaisir,
ou quand j’habitais déjà Paris et que je rentrais à la moindre angine
comme si seule la présence de ma mère pouvait me guérir
Il y avait la mélancolie de la nuit
les filles prisonnières du palais des glaces
les débuts de romans que j’écrivais sur des carnets
tandis que le métro aérien brinquebalait dans le vent
ma mère disait que j’étais une sorte de roi
parce qu’elle constatait que ça faisait toujours plaisir
aux gens qui me connaissaient de me croiser par hasard
Dans les soirées pourtant j’oubliais ma couronne quelque part
je n’avais jamais peur de la nuit
du moment que j’avais un endroit où rentrer
une destination ou un visage en tête
aujourd’hui parfois encore me vient le réflexe
de téléphoner vers 18h30 à un numéro
qui n’existe plus
Je n’ai ni soeur ni frère avec qui retrouver un moment
et je pourrais adopter tous les mômes en pleurs
à la caisse centrale des supermarchés
pour qui l’attente de quelques minutes de trop
est une blessure éternelle
Une force irrésistible me pousse en avant
et je suis si égoïste envers les gens que j’ai perdus
si négligent
je remets toujours à demain
la douce épreuve de me pencher sur hier
et je continue à remplir
de moments invisibles
un cartable invisible
lourd comme l’invisible.