jeudi 30 juin 2016

Lessivé

Je suis vraiment lessivé
Mais si je m'assois
Je perds la perspective
Sur sa silhouette
Je veux retenir son visage
Le plus longtemps possible
Le plus longtemps
Possible
Le plus
longtemps
possible
La vie qui l'attend
n'a rien à craindre de moi
Un souci ou la rue
Diluera cet instant
Où me tenir près d'elle
A valeur d'univers.

Hermès aux pieds ailés

Elles s'en tamponnent pas mal
du Brexit les deux chinoises
En tailleur marine dont les sandales
Piquées de brillants
Claquent sur l'asphalte.
Pourtant elles font un tel raffut
Pour se précipiter chez Hermès
Que j'ai cru un instant
Que les Horse Guards défilaient
Rue de Sèvres.

mercredi 29 juin 2016

"Surtout pas de chanson d'amour !"

Quand une chanteuse insiste,
mais réellement insiste
- oh on peut bien se marrer, même dans un poème -
pour travailler avec moi, 
et que je me tape un rendez-vous 
en présence de son manager à l’autre bout de Paris
et que je m’entends marteler : "Surtout pas de chanson d’amour",
je pense toujours à Amy Winehouse,
et j’ai envie de répondre à cette fille :
« Tu crois qu’elle parle de quoi, Amy, dans ses chansons ?
Dans Back to black, dans Love is a losing game, dans Tears dry on their own,
oui, de quoi ? dis-moi ?
et toi qui n’atteindras sans doute jamais
ni la notoriété ni la force d’attraction
pas plus que la puissance intimiste
d’Amy Winehouse
tu me fais traverser Paris pour me dire :
Surtout pas de chanson d’amour.
Mais, voyons, reste dans ta misère,
et ne m’inclue pas dans tes vains désastres
De toute façon, tout n’est qu’une chanson d’amour
et la conquête de l’ouest
et la possession de l’autre jusqu’à la perte de soi
et le dernier souffle comme le premier soupir
Puisque seule une chanson d’amour
permet de se tenir
au-dessus
de la fatigue de tout.

mardi 28 juin 2016

Rue de Buci

Le tapage de la rue de Buci
Les amplis portatifs
Qui diffusent leurs daubes
Et les couples lascifs 
Qui mangent du poisson douteux
Et tous ces types qui parlent fort
Comme si les bienfaits de leur conversation
Devait porter jusqu'aux étoiles
Et tous ces connards dans leur pousse pousse à pédales
Attrapes touristes
Et la lumière du boulevard Saint-Germain qui disparaît par degrés,
Bientôt elle n'aura pas plus de valeur que le mystère que tu encoures
À t'endormir loin de moi
Et les sirènes du Samu et des pompiers
Qui me paraissent toujours plus fortes,
Infernales mêmes, depuis les attentats
Et ce type qui jette des miasmes de regards imbuvables à la fille avec laquelle il partage son deuxième litron de champagne en terrasse du Flore, à moins d'un mètre des roms qui ont colonisé le quartier et installé leur matelas
devant la librairie L'écume des pages, et qui, place de la Croix Rouge, jouent sur un transistor perrave la même musique perrave que tu entends dans nos métros perraves
Et quelle vie pour les enfants ?
Et avec quelle nouvelle dégueulasse nous réveillerons-nous demain ?
Avec quelle nouvelle habitude nous faudra-t-il pactiser ?
Et où ira voguer le souvenir des amours un peu fous, dérangés,
Qui n'ont jamais su se fixer
Ni dans le temps ni dans la mémoire
Alors, dans la misère
Aveugle à sa misère
Qu'est devenue Paris,
Cette jolie fille sur son vélo,
Ma seule échappatoire.

lundi 27 juin 2016

La librairie

Je rêvais de m’acheter
un livre (format poche)
parfois se mettre en route pour acheter un livre
c’est mieux qu’une après-midi à la fête foraine
ou mieux que se loger dans l’encombrement délicieux d’une file de cinéma
Donc un titre précisément
et après une ou deux librairies où ce titre ne se trouvait pas
voilà que je me dirige vers cette autre librairie, du quartier, qui
ressemble à une bijouterie
impossible d’y entrer,
je ne me sens pas à ma place avant même d’en avoir franchi le seuil
Même si j’ai vécu toutes mes années étudiantes dans ce quartier
Même si j’y habite à nouveau aujourd’hui, avec bonheur,
même si ce quartier est mon ADN pour ce que j’y ai vécu,
le temps que j’y ai passé,
je n’ai pas envie d’entrer dans une librairie qui ressemble à une bijouterie
j’ai vécu de 0 à 7 ans dans le 92, dans une banlieue modeste,
et je suis resté l’enfant des banlieues modestes,
le vrai luxe pour moi se situe à un autre niveau
qu’une librairie qui ressemble à une bijouterie
c’est quoi ces conneries ?
Une librairie ça doit être convivial et chaleureux,
ça ne doit pas vous faire ressentir d’être un exclu ou un privilégié,
et un roman qui serait un bijou a toujours l’apparence de la plus grande simplicité
« L’homme hilare », une nouvelle de Jérôme David Salinger, qui est un bijou,
a l’apparence de la plus grande simplicité,
elle peut être lue par tout le monde, et continue à briller une fois que vous l’avez lue,
un bijou ce n’est pas que l’aparât, le style, le style sans coeur, ça ne vaut rien,
du moins, c’est à la portée d’un peu de travail,
ça me tue qu’il y ait des librairies dont je reste en dehors alors qu’elles pourraient contenir
le roman que je voudrais lire pour que ma journée soit réussie
mais je fuis les lieux où je ne me sens pas à ma place
je fuis les êtres qui me font ne pas me sentir à ma place
c’est un des rares trucs qui me plait dans le fait d’être adulte
la possibilité de foutre le camp quand on se sent en dehors
ce qui n’était pas en mon pouvoir
quand j’étais enfant
Je dis ça et pourtant aujourd’hui encore
Je reste parfois dans des fêtes ou des événements qui m’ennuient
par politesse
Mais cette librairie qui ressemble à une bijouterie
c’est vraiment pas possible
comment voulez-vous que des jeunes gens s’attachent à la lecture
et c’est quoi la prochaine étape
un service voiturier devant leur librairie ?
De toute façon je me souviens que dans cette librairie
quand j’ai commencé à écrire des livres
ils commandaient toujours un seul ou deux exemplaires de mes romans
qu’ils cachaient bien dans les rayons sous les tables
et si un de leurs clients avait, par surprise,
en se baissant pour refaire un lacet,
l’idée de prendre le seul exemplaire de mon livre qu’ils proposaient,
ils n’en recommandaient jamais après.
C'est valable à d'autres domaines
mais je crois qu'il faut s'en foutre
de n’être pas la priorité
de gens chez qui
on ne met jamais les pieds.

dimanche 26 juin 2016

Regret et tortillas.

Je regrette
de m’être jeté
sur ce paquet 
de tortillas chips
pour seul dîner
la dernière fois
que j’ai commis
l’irréparable
c’est quand j’avais 
susurré je t’aime
à l’oreille de cette fille
pour la seule raison
qu’elle m’avait
dévoré des yeux
comme si rien d’autre
n’avait d’existence
je m’en suis voulu
avant et après
comme lorsque je dévalais
une par une
les tortillas chips
de ce paquet
Plus rien n’a d’importance
l’amour c’est de la gloutonnerie
on se mange des yeux
on se dévore du regard
ni la faim ni la soif ne se font sentir
il n’y a que le corps de l’autre qui étanche tout
jusqu’à ce qu’on le traverse
comme un miroir
Sans brisures autres
Qu’intérieures.

samedi 25 juin 2016

25 pizzas

Une fête réussie selon une jeune fille d'aujourd'hui : 
- 25 pizzas
- De l'alcool. 
Et aussi, interviens-je, un ou deux beaux mecs, peut-être. Beaux, ou du moins, captivants...
Oh non, balaie-t-elle,
ils n'ont pas besoin d'être beaux
Ni captivants
Du moment qu'il y a
25 pizzas
Et de l'alcool.

jeudi 23 juin 2016

Moving day

Ce n'est jamais l'absence
De celui que j'aime
Qui met de l'ordre 
Dans mon visage
Dit-elle en décrochant
Le dernier miroir
De l'appartement.

mercredi 22 juin 2016

Deauville-Paris

Le train file à la vitesse de l'orage
Et par-dessus le tissu mauve d'un siège lointain j'aperçois sa coiffure sage
Et ses deux sourcils qui se dressent
Comme si elle aussi était au bord de m'apercevoir
Ou qu'elle se dissimulait pour confirmer
Ou affiner
Une impression
Elle est dans le sens de la marche
Et moi dos à ce qui survient
Comme souvent
Paris m'attend au loin
Cela me rend confiant et calme
Mais je le jure si l'orage
Démêle sa chevelure sage
Je tire la sonnette d'alarme.

lundi 20 juin 2016

La pluie

Que ceux qui crachent contre la pluie
prennent le premier TGV pour le sud
et qu’on n’en parle plus.
La pluie c’est merveilleux,
Ça révèle des abris comme le dit
le personnage de L’amoureux en lambeaux
épuisé d’amour, épuisé tout court,
La pluie ça permet de courir plus fort
vers un rendez-vous
Ou bien de se caler sous un auvent
et de réfléchir
à l’éventualité de déguerpir en arrière
pendant qu’il en est (encore) temps
Il y a le corps diplomatique qui éclabousse de rire
la jolie rousse de la rue du Dragon
et les standardistes de l’hôtel Millésime
rue Jacob qui ont les cheveux bien attachés,
La pluie ce sont les rues où l’on parle anglais couramment,
et je préfère toujours les filles qui ont l’air perdu sous un parapluie
que celles qui sont pleines de morgue et d’assurance en maillot de bains
ou sur un fil instagram qui, certains jours,
est aussi quiche qu’une plage privée au mois d’août
La pluie contient sa propre musique
qui n’est pas celle qui se crache à la radio,
ni celle dont se félicitent ceux qui produisent ou chantent des inepties,
des trucs vulgaires qui rentrent dans votre oreille sous le vernis de la nouveauté,
mais qui ne laisseront pas plus de souvenir qu’une nuit passée avec une sorcière
à l’épaule dévêtue.
Chaque fois qu’il pleut je m’en veux d’être prisonnier d’un bureau, d’une conversation,
ou d’une salle d’attente,
j’ai besoin de la ville, de la rue et de ses visages,
et ceux qui crachent contre la pluie
sont ceux qui n’ont jamais connu la sécheresse
prendre l’ascendant
sur le désir,
ceux qui n'ont jamais goûté
au bénéfice
d'une éclaircie.

mercredi 8 juin 2016

Gibecq

Du train qui me ramène
De Bruxelles à Paris
J'essaie d'apercevoir 
La maison de Gibecq
Et le cheval Bichette.
Comment apercevoir
Une maison de l'enfance
Quand l'enfance
N'est plus ?

samedi 4 juin 2016

Full Midnight

Falling in love is sweet and tough
It depends for whom do you fight
She was hiding a strawberry in her mouth
In London town, on full midnight
The poison tree is in your heart
And no nest was found in that tree
Just the bitter song of your scars,
The endless bird of memory.