lundi 27 juin 2016

La librairie

Je rêvais de m’acheter
un livre (format poche)
parfois se mettre en route pour acheter un livre
c’est mieux qu’une après-midi à la fête foraine
ou mieux que se loger dans l’encombrement délicieux d’une file de cinéma
Donc un titre précisément
et après une ou deux librairies où ce titre ne se trouvait pas
voilà que je me dirige vers cette autre librairie, du quartier, qui
ressemble à une bijouterie
impossible d’y entrer,
je ne me sens pas à ma place avant même d’en avoir franchi le seuil
Même si j’ai vécu toutes mes années étudiantes dans ce quartier
Même si j’y habite à nouveau aujourd’hui, avec bonheur,
même si ce quartier est mon ADN pour ce que j’y ai vécu,
le temps que j’y ai passé,
je n’ai pas envie d’entrer dans une librairie qui ressemble à une bijouterie
j’ai vécu de 0 à 7 ans dans le 92, dans une banlieue modeste,
et je suis resté l’enfant des banlieues modestes,
le vrai luxe pour moi se situe à un autre niveau
qu’une librairie qui ressemble à une bijouterie
c’est quoi ces conneries ?
Une librairie ça doit être convivial et chaleureux,
ça ne doit pas vous faire ressentir d’être un exclu ou un privilégié,
et un roman qui serait un bijou a toujours l’apparence de la plus grande simplicité
« L’homme hilare », une nouvelle de Jérôme David Salinger, qui est un bijou,
a l’apparence de la plus grande simplicité,
elle peut être lue par tout le monde, et continue à briller une fois que vous l’avez lue,
un bijou ce n’est pas que l’aparât, le style, le style sans coeur, ça ne vaut rien,
du moins, c’est à la portée d’un peu de travail,
ça me tue qu’il y ait des librairies dont je reste en dehors alors qu’elles pourraient contenir
le roman que je voudrais lire pour que ma journée soit réussie
mais je fuis les lieux où je ne me sens pas à ma place
je fuis les êtres qui me font ne pas me sentir à ma place
c’est un des rares trucs qui me plait dans le fait d’être adulte
la possibilité de foutre le camp quand on se sent en dehors
ce qui n’était pas en mon pouvoir
quand j’étais enfant
Je dis ça et pourtant aujourd’hui encore
Je reste parfois dans des fêtes ou des événements qui m’ennuient
par politesse
Mais cette librairie qui ressemble à une bijouterie
c’est vraiment pas possible
comment voulez-vous que des jeunes gens s’attachent à la lecture
et c’est quoi la prochaine étape
un service voiturier devant leur librairie ?
De toute façon je me souviens que dans cette librairie
quand j’ai commencé à écrire des livres
ils commandaient toujours un seul ou deux exemplaires de mes romans
qu’ils cachaient bien dans les rayons sous les tables
et si un de leurs clients avait, par surprise,
en se baissant pour refaire un lacet,
l’idée de prendre le seul exemplaire de mon livre qu’ils proposaient,
ils n’en recommandaient jamais après.
C'est valable à d'autres domaines
mais je crois qu'il faut s'en foutre
de n’être pas la priorité
de gens chez qui
on ne met jamais les pieds.